La marchande de mots  Ffc15410 
 
LA MARCHANDE DE MOTS 


Vous qui passez dans ma rue 

célèbres ou inconnus
mon échoppe vous verrez .
Peut être vous en rirez ?
Tant il paraît saugrenue ,
pour tout dire mal venue
d’oser écrire ou prétendre
que des mots puissent se vendre.
Semblable fable conter
est folie ou fatuité.
 
Par simple curiosité
la porte vous pousserez
et la magie de ce lieu
scintillera dans vos yeux .


Tous ces mots d’un autre temps ,
désuets , un peu tremblants .
Tous ces mots inaccessibles
voyageant dans l’invisible
bien loin de la vie futile
que mènent les mots utiles .
Ceux que l’on a trop gardés
sans jamais les prononcer ,
abandonnés dans l’errance ,
privés de toute existence .
Tous ces mots du quotidien ,
dits pour un oui , pour un rien ,
mots privés de lendemain ,
devenus trop anodins .
Les mots que l’on a blessés
à trop les utiliser ,
les jetant au gré des vents
comme de simples cerfs- volants .
 
Les mots de la perfidie ,
de la haine , de l’infamie ,
ces mots que l’on a flétrit ,
mots innocents mais détruits
par la noirceur de l’esprit
et qui à jamais résonnent
témoins des basses besognes .
Tous ces mots plein de candeur ,
enfantins et sans pudeur ,
qui sautillent tel des oiseaux
sur la musique d’un flutiau .


Même si l'on ne sait plus entendre , 
oui , j’ai des mots à vendre …
des grands , des petits ,
des méchants , des gentils ....
Des mots qui vous iront bien , 
écho de votre destin 
dont votre imagination 
bâtira mille versions ;
des fripons et des coquins
qui se cachent dans des recoins ,
ceux qui s'invitent aux grands festins
et glissent comme des mirages
entre la poire et le fromage
 
Des mots comme des lutins
qui s’accrochent au refrain ,
d'une chanson populaire
sans en avoir l'air ,
squatteur  de la mémoire 
défiant le verbe « vouloir » , 
des mots plein de fantaisie ,
de drames ou de litanies .
Des mots qui ne servent à rien 
mais rassurent et font du bien ,
les mots pour tous les lendemains
qu'on espère en vain
Les novices , les désuets ,
d’autres qui restent muets .
 
Ces mots que l’on a gommé
croyant les éliminer .
Les mots de la certitude
prisonniers des habitudes 
transmis dans les grands crus
des idées reçues .
Des mots à usage unique ,
et même des impudiques .
Des mots qui vivent sans gloire
et ceux qui chantent la victoire .
Des mots d’ici ou d’ailleurs ,
des mots gri-gri ou porte-bonheur , 
spasmodiés  avec ferveur ,
fragiles tuteurs , antidotes du malheur . 
 
Des mots comme à la parade ,
un peu pales , un peu fades ,
qui défilent en uniformes
et respectent les normes .
 
Des mots tout chauds et tout frais
sentant bon le petit lait ,
qui attendrissent maman
dans la bouche de l'enfant .
Des mots en accroche-cœur
qui recherchent une âme sœur ,
comme ceux en bouquets de fleurs
parlant le langage du cœur .
 
 
Les mots de la redondance ,
ceux qui servent le dimanche ,
célèbrent le jour du seigneur
dans son humble demeure .
De ces mots qui au labeur
vous feront toujours honneur ,
qui sauront vous satisfaire
par leur science , leur savoir-faire .
Des mots en catimini
qui feront ami-ami ,
mots de la fragilité
qui pourraient bien se casser
 
Des demi-mots , des oublis ,..
des mots jouant la comédie
et même les mots de la nuit ,
du berceau , de l’agonie
qui s'enroule en spirale
dans un râle
Dans mon grand sac sans fond
de pauvres mots sans raison
qui ont même perdu le son .
De ces mots un peu poltrons
cachés derrière la liaison .
Les mots qui sont dans la note
ou ceux qui parfois dénotent
parce que mots de passage
ils en oublient d’être sages .
 
Et pour tout dire ou comprendre :
 « Voyez ! J’ai des mots à vendre »
 
Des mots , des mots , et des mots ,
un monde si merveilleux ,
si complexe , si généreux ,
inépuisable en un mot
que vous serez étourdis ,
incrédules , abasourdis ,
tristes et malheureux
d en utiliser si peu
et chacun un penaud
riant sur jeu de mots
pensera par dévers soi
que tout bien pesé ma foi
ce n était pas vraiment sot
de vouloir vendre des mots