😾  LE ZOO HUMAIN  😻😼😽😾



                         Porté par les flots
           l’alevin nage au fil de l’eau , 
                         un contre-courant.

Enfant je me demandais pourquoi les adultes émaillaient leurs propos de comparaisons” bête comme une oie , fort comme un bœuf , têtu comme un âne ……” .  Obnubilé par le désir d’être grand , je répétais cela avec fierté . 
Avec une inconscience naïve , j’émettais des jugements sans appel sur tout un chacun .

Tout naturellement j’ai déclaré à ma cousine qu’elle ressemblait à une dinde et catalogué cousin Alexandre de chaud-lapin…….là , les choses se sont un peu compliquées pour moi.
Ma mère gênée , à aussitôt rectifié :
-« Il ne comprend pas ce qu’il dit , c’est un enfant , il faut l’excuser … » . mais cela a jeté un froid dans les relations familiales .

Pour moi , une oie était bête , un âne têtu ..et les hommes se définissaient par leur ressemblance avec eux  .
 Je regardais donc la faune humaine à travers ce postulat . Je cherchais toujours à faire le lien entre l’aspect ou le comportement de ” Pierre ou Paul ” et un animal que je côtoyais ou avec ceux rencontrés dans mes lectures .
Les conversations de mes proches constituaient ma plus grande source d’inspiration . 
J’ai grandi dans une sorte d animalerie humaine , du style : elle mange comme un cochon , elle a un cou de girafe , prenant tout au premier degré
C’était un jeu , c’est devenu une seconde nature , impossible d’appréhender la réalité d’une autre manière  . 
Cette prédilection faisait sourire mon entourage , cela inquiétait bien un peu ma mère , elle se revigorait en pensant : ce n’est pas rédhibitoire ….des enfantillages …. Il changera …et fort de cette bienveillance maternelle  , je me complaisais dans mon zoo humain .

                                            Le limaçon
                              au fond de sa coquille
                                          tourne en rond


Cela m’a valu quelques mésaventures …..
A vouloir rugir comme un lion à la récréation face à Anatole , le fils du boucher , de quatre ans mon aîné , j’ai reçu la plus belle rossée de ma vie . 
Il m’avait traité de poule mouillée parce que je ne voulais pas relever , pour rire , la jupe de Noémie , une bécasse du CM2 . 
J’avais eu l’audace de traiter Anatole de ” mauvais comme une teigne et vaniteux comme un pou..”
J’ai survécu grâce à l’intervention de l’institutrice , un coquard à l’œil droit et quelques bleus .
Ce qu’il ignorait c’est que malin comme un singe , je savais que l’heure de ma vengeance sonnerait.

Émilien , mon sois-disant meilleur ami , à préféré se ranger du côté du plus fort , un vrai mouton .
     -« t’occupes pas de lui »  , me réconfortait oncle Max ,
    -«  je connais bien son père…les chiens ne font pas des chats »
Il caressait sa barbe avec délectation , un sourire aux coins des lèvres , perdu dans ses pensées .

Je subodorais une sombre histoire du passé dont Max apparemment était sorti vainqueur vu la jouissance rétroactive qu’il éprouvait .
                               
                                                L’araignée noire
                                        est blottie dans sa toile ,
                                                une mouche vole


Ma frangine , une langue de vipère , a colporté mes exploits dans tout le village , faut dire qu’elle voulait plaire à Anatole dont elle avait le béguin
   -” Ce n’était pas une raison pour jouer les perroquets “
Lui , je l’ai piégé  ……j’ai réussi à le discréditer en lui faisant croire que ma sœur lui avait fixé un rendez-vous , Il a piétiné devant le terrain municipal tout un mercredi après-midi . 
Ses copains jouaient au football ….et tout le monde a constaté qu’on lui avait posé un lapin . Lui qui se flattait d’être le coq du village , cela lui a rabattu son caquet .
J’étais plutôt fière d’avoir échafaudé ce stratagème mais un peu inquiet de la réaction du clan des grands
Heureusement ma sœur , désireuse de se racheter , a saisi l’occasion pour s’expliquer avec Anatole….. et ils se sont découverts des affinités….après , sous sa haute protection , la cour d’école est devenue un vrai paradis pour moi .
                                             
                                            Parmi la horde
                   des chiens-loups qui hurlent
                                            bêle un agnelet


C’est au collège que tout a changé
C’était la ville ! Rangé d’emblée dans la catégorie ” paysan “, j’ai très vite compris que mon langage imagé était à proscrire . Mon mode de fonctionnement par analogie animale n’a pas disparu ….je devais juste faire attention

                                       Le poisson dans l’eau
                 regarde le petit asticot,
                                        pêche interdite .


Le naturel est parfois difficile à contrôler et ma verbe animalière m’a échappée .
J’ai eu la honte de ma vie , quand , pour justifier mon retard , j’ai expliqué au prof de math , que:
      -« trempé comme un canard à cause de la pluie , j’avais du me sécher dans le hangar à vélos avant de rejoindre la salle de classe »
Le fou rire général et les quolibets que j’ai provoqué sont ancrés dans ma mémoire , chat échaudé craint l’eau froide …
J’ai subi des coins-coins sur mon passage , le “canard” est devenu mon surnom .
Je souriais en apparence , conscient que c’était la meilleure réponse aux railleries , je marchais même en canard pour amuser la galerie , gardant pour moi mes états d’âmes . Bien décidé à ne plus être le dindon de la farce , je ne verbalisais plus le fruit de mes constatations .

Le soir dans mon lit, je feuilletais le grand livre d’images de mes journées .
Ils pouvaient bien rire de moi la bande à Sébastien : 
   -lui il couvrait son cahier de pattes de mouches et donnait sa langue au chat à la moindre difficulté…..
   -son copain Gustave se tortillait comme un ver sur sa chaise 
   -et Julien , myope comme une taupe se cognait dans toutes les portes….
pas de quoi être fier d’être le chef d’un tel troupeau !

Je m’endormais serein et apaisé , prêt à affronter le jour suivant.

                                            Seul sur la mare
                                        nage un petit canard,
                                             un aigle vole


Les années se sont effilochées entre réalité et chimères , les mots prononcés et les images dans mes pensées ..l’impression d être une bête curieuse ne trouvant pas sa place parmi le genre humain , d’avoir banni mon enfance , de m’être renié moi-même pour être comme les autres .

Adulte aujourd'hui , je suis devenu gardien de zoo

                                           Sur le grillage
                              des animaux en cage
                                          une main d'enfant