Elle était là, assise sur un banc. Déjà plusieurs heures qu'elle l'attendait. Elle ne savait pas s'il allait venir. Il lui avait dit que oui mais maintenant, à qui se fier ? Chacun racontait ce qu'il voulait. Elle se donna encore une petite heure pour l'attendre et s'il ne venait pas, elle partirait. Tant pis pour lui. Après tout, ce n'était pas son histoire, ça ne la concernait pas. Elle avait juste voulu faire une bonne action, pour une fois. Elle regarda face à elle, le grand arbre dont les branches bougeaient au rythme du vent. Sans savoir pourquoi, ça l'apaisait. Elle voyait de temps en temps des personnes qui passaient sur le petit chemin, des couples, des enfants avec leurs parents, des personnes seules. Elle essayait de deviner ce qu'ils faisaient, où ils allaient et ça l'aider à passer le temps. Elle vit arriver, sur son côté droit, un vieil homme accompagné d'un plus jeune. Ils vinrent à sa hauteur.
– Euh... Bonjour, commença le plus jeune. Vous êtes Jodie ?
Elle les regarda un court instant. Le plus jeune était grand et maigre, habillé d'un jogging et d'un tee-shirt, il tenait par le bras l'homme plus âgé. Celui portait un pantalon ample et une chemise. Il tenait une canne dans la main.
– Oui. J'imagine que vous êtes Pascal, dit-elle en s'adressant au plus vieux.
– Bonjour, lui répondit Pascal.
Elle regarda l'autre homme, assez curieuse, elle devait le dire. Il avait été convenu que Pascal vienne seul et non accompagné.
– Oui. C'est lui. Je suis Édouard, son petit-fils, se présenta le second. Je suis venu avec lui pour l'aider. Il ne marche plus comme avant. Je suis désolé que nous soyons en retard mais nous avons eu des problèmes dans les transports.
– Ne vous en faites pas. C'est pas grave, leur dit-elle simplement.
Pascal s'assit à côté d'elle et Édouard se mit à côté de son grand-père.
– Alors, dites m'en plus, reprit Pascal. Vous avez trouvé un carton ?
– Oui, répondit Jodie. Dans mon grenier... Enfin, dans le grenier de la maison qui vous appartenait avant, se reprit-elle.
– Avant que vous ne l'achetiez...
– Oui. Je monte rarement au grenier. Il ne me sert pas à grand chose mais il y a une semaine, je voulais y entreposer des affaires alors je suis montée et c'est là que j'ai trouvé ce carton.
Elle attrapa un carton qui était à côté d'elle, sur le banc. Il n'était pas très grand et pas très lourd. Elle le passa à Pascal. Celui l'attrapa avec précaution et le posa sur ses genoux. Ses mains se glissèrent entre les deux pans pour l'ouvrir. Lorsqu'elle l'avait découvert dans son grenier, il était recouvert de poussières. Elle avait du souffler longuement dessus pour l'enlever. Elle n'avait pas souvenir d'avoir laissé un carton à cet endroit alors, par curiosité, elle l'avait ouvert et quand elle avait vu ce qu'il y avait dedans, elle avait cherché le propriétaire de ce carton pour le lui rendre. Pascal l'ouvrit et il en sortit une petite pile de photographies en noir et blanc et un paquet de lettres manuscrites, avec leurs enveloppes, qui avaient été regroupées sous un élastique. Elle le vit prendre ses lunettes, dans l'une des proches de sa veste, et les mettre sous son nez. Il regarda alors les photos avec son petit-fils qui s'était penché au dessus de son grand-père pour mieux les apercevoir. Elle les observa sans rien dire. Un sourire apparut sur les lèvres de Pascal, pas un sourire de bonheur, pas un sourire de joie mais un de ces sourires nostalgiques que l'on a lorsque l'on repense au passé, à ces moments agréables.
– Tu vois, commença Pascal, ça, c'est la sœur à ta maman.
– Sérieux ? S'étonna Édouard. C'est Patricia ?
– Oui.
– Eh bien... Qu'est-ce qui s'est passé ?
Pascal émit un petit rire. Édouard expliqua à Jodie que maintenant tante Patricia était loin, voire très loin, de ressembler à la petite mannequin de la photo. Elle aurait pris quelques kilos. Les photos passèrent, les unes après les autres. Pascal expliqua chacune d'elles, selon ses souvenirs. Il revoyait où elles avaient prises, les personnes du passé, celles qui avaient disparues, celles qui étaient toujours là. Il commentait chacune d'entre elles, surtout pour son petit-fils et celui-ci émettait une remarque à chaque fois.
– C'est mamie ?
– Oui.
– Elle a bien changé.
– C'était dans le près de mon papa.
– Tu veux dire de mon arrière grand-père ?
– Oui, c'est ça.
Et ils échangèrent ainsi pendant un long moment. Elle attendit. Elle était contente de leur avoir rendu les photographies mais ce qu'elle attendait avec impatience, c'était les lettres. Elle s'était permise de les lire. Elle ne savait pas si elle aurait du mais elle l'avait fait. Maintenant, elle voulait qu'ils les voient, qu'ils les lisent à leur tour. Elle les avait trouvé si belles. Pascal enleva l’élastique, le reposa dans le carton et attrapa la première enveloppe. Il en sortit la lettre, la déplia et fronça les sourcils. Il la passa d'un geste à Édouard.
– Je n'arrive pas à la lire. C'est écrit bien trop fin, lui dit-il.
Son petit-fils l'attrapa et la lut à haute voix. Jodie se mit aussitôt dans l'ambiance. C'était inexplicable, l'effet que ces quelques écrits avaient sur elle. Quand elle les lisait ou quand elle les entendait, elle s'imaginait être là, en plein milieu de l'action. C'est ainsi qu'elle se retrouva sur un champ de bataille, auprès d'un jeune homme d'une vingtaine d'années, qui se cachait, comme il le pouvait dans l'une des tranchées de l'armée française. Elle entendait le son des bombes, des coups de fusils. Il y avait l'odeur aussi.
« Chère Amandine,
Je sais que tu t'inquiètes pour moi, même si je n'ai reçu ta dernière lettre. Nous avons été au front, hier et nous sommes rentrés dans les tranchées en fin de soirée. Didier n'en est pas revenu. Ne sois pas étonnée si tu vois Françoise, sa maman, pleurer lorsque tu iras acheter ton lait. C'est qu'ils lui auront annoncé la nouvelle.
J'entends le bruit des canons qui tirent et je me demande ce que je fais là. A force de rester dans la boue, j'en viens à me questionner sur l'utilité de cette guerre. Je t'avoue, j'ai peur et je pense ne pas en revenir.
Il y a aussi l'odeur, cette odeur indescriptible de mort. Partout où l'on va, elle est là. Cette odeur ne nous quitte plus. On fait ce que l'on peut pour tenir mais je vois bien que l'on recule de jour en jour. La première bataille avait été dure mais celle-ci est pire encore. Penser à toi me donne un peu d'espoir. J'espère que notre fils va bien. Je tiens encore debout pour les empêcher de passer et de vous approcher, même si je ne sais pas combien de temps je tiendrais.
Ici, chacun s'occupe comme il peut. Hervé sculpte des obus vide, Marcel écrit sans cesse à sa femme, à ses parents. Je crois qu'il est comme moi. Il sait très bien que l'on en reviendra pas. Il veut leur dire tout ce qu'il a sur le cœur.
La nourriture, si l'on peut appeler ce qu'ils nous donnent de la nourriture, est en raccord avec ce que l'on vit ici. J'espère que vous avez pu avoir au moins un peu de pain et Pascal mange à sa faim.
Quoi qu'il en soit, si les dernières nouvelles ne sont pas optimistes, c'est que je ne veux pas te donner de faux espoirs. Penser à vous me donne du courage et je ferai tout pour tenir le plus longtemps possible afin de vous revoir, toi et ton sourire si lumineux et Pascal à qui je veux tellement apprendre à faire du vélo.
Ton tendre Henri qui t'aime. »
Il eut un moment de silence pendant lequel Jodie revint à la réalité. Le champ de bataille disparut pour laisser place à l'arbre et au petit chemin face elle.
– Amandine, c'était ta maman ? Demanda Édouard à son grand-père.
– Oui, lui répondit celui-ci, un léger sourire aux lèvres.
– L'enfant dont elle parle, c'est toi ?
– Oui, sûrement.
– Et Henri, c'est ton père ?
– Oui.
– Et il est revenu de la guerre ? Osa demander Jodie. Il vous a appris à faire du vélo ?
– Non, répondit-il simplement.
Il avait toujours un sourire aux lèvres, mais cette fois-ci, on aurait dit un de ces sourires figés, tristes. Elle remarqua que ses yeux brillaient, qu'ils étaient humides et elle eut la désagréable sensation que Pascal pleurait. Et, ce n'était pas ce qu'elle voulait. Elle fut rassurée quand elle l'entendit reprendre la parole.
– On n'en parlait pas beaucoup à la maison. Maman avait peut-être mis ça au grenier justement pour essayer d'oublier. Mais en tout cas, merci.
Pascal se tourna vers Jodie.
– Merci madame. Vraiment. C'est tellement loin mais ça fait tellement de bien de se souvenir.
C'est un peu comme un voyage dans le temps, qui va me permettre de tourner la page.
– Euh... Bonjour, commença le plus jeune. Vous êtes Jodie ?
Elle les regarda un court instant. Le plus jeune était grand et maigre, habillé d'un jogging et d'un tee-shirt, il tenait par le bras l'homme plus âgé. Celui portait un pantalon ample et une chemise. Il tenait une canne dans la main.
– Oui. J'imagine que vous êtes Pascal, dit-elle en s'adressant au plus vieux.
– Bonjour, lui répondit Pascal.
Elle regarda l'autre homme, assez curieuse, elle devait le dire. Il avait été convenu que Pascal vienne seul et non accompagné.
– Oui. C'est lui. Je suis Édouard, son petit-fils, se présenta le second. Je suis venu avec lui pour l'aider. Il ne marche plus comme avant. Je suis désolé que nous soyons en retard mais nous avons eu des problèmes dans les transports.
– Ne vous en faites pas. C'est pas grave, leur dit-elle simplement.
Pascal s'assit à côté d'elle et Édouard se mit à côté de son grand-père.
– Alors, dites m'en plus, reprit Pascal. Vous avez trouvé un carton ?
– Oui, répondit Jodie. Dans mon grenier... Enfin, dans le grenier de la maison qui vous appartenait avant, se reprit-elle.
– Avant que vous ne l'achetiez...
– Oui. Je monte rarement au grenier. Il ne me sert pas à grand chose mais il y a une semaine, je voulais y entreposer des affaires alors je suis montée et c'est là que j'ai trouvé ce carton.
Elle attrapa un carton qui était à côté d'elle, sur le banc. Il n'était pas très grand et pas très lourd. Elle le passa à Pascal. Celui l'attrapa avec précaution et le posa sur ses genoux. Ses mains se glissèrent entre les deux pans pour l'ouvrir. Lorsqu'elle l'avait découvert dans son grenier, il était recouvert de poussières. Elle avait du souffler longuement dessus pour l'enlever. Elle n'avait pas souvenir d'avoir laissé un carton à cet endroit alors, par curiosité, elle l'avait ouvert et quand elle avait vu ce qu'il y avait dedans, elle avait cherché le propriétaire de ce carton pour le lui rendre. Pascal l'ouvrit et il en sortit une petite pile de photographies en noir et blanc et un paquet de lettres manuscrites, avec leurs enveloppes, qui avaient été regroupées sous un élastique. Elle le vit prendre ses lunettes, dans l'une des proches de sa veste, et les mettre sous son nez. Il regarda alors les photos avec son petit-fils qui s'était penché au dessus de son grand-père pour mieux les apercevoir. Elle les observa sans rien dire. Un sourire apparut sur les lèvres de Pascal, pas un sourire de bonheur, pas un sourire de joie mais un de ces sourires nostalgiques que l'on a lorsque l'on repense au passé, à ces moments agréables.
– Tu vois, commença Pascal, ça, c'est la sœur à ta maman.
– Sérieux ? S'étonna Édouard. C'est Patricia ?
– Oui.
– Eh bien... Qu'est-ce qui s'est passé ?
Pascal émit un petit rire. Édouard expliqua à Jodie que maintenant tante Patricia était loin, voire très loin, de ressembler à la petite mannequin de la photo. Elle aurait pris quelques kilos. Les photos passèrent, les unes après les autres. Pascal expliqua chacune d'elles, selon ses souvenirs. Il revoyait où elles avaient prises, les personnes du passé, celles qui avaient disparues, celles qui étaient toujours là. Il commentait chacune d'entre elles, surtout pour son petit-fils et celui-ci émettait une remarque à chaque fois.
– C'est mamie ?
– Oui.
– Elle a bien changé.
– C'était dans le près de mon papa.
– Tu veux dire de mon arrière grand-père ?
– Oui, c'est ça.
Et ils échangèrent ainsi pendant un long moment. Elle attendit. Elle était contente de leur avoir rendu les photographies mais ce qu'elle attendait avec impatience, c'était les lettres. Elle s'était permise de les lire. Elle ne savait pas si elle aurait du mais elle l'avait fait. Maintenant, elle voulait qu'ils les voient, qu'ils les lisent à leur tour. Elle les avait trouvé si belles. Pascal enleva l’élastique, le reposa dans le carton et attrapa la première enveloppe. Il en sortit la lettre, la déplia et fronça les sourcils. Il la passa d'un geste à Édouard.
– Je n'arrive pas à la lire. C'est écrit bien trop fin, lui dit-il.
Son petit-fils l'attrapa et la lut à haute voix. Jodie se mit aussitôt dans l'ambiance. C'était inexplicable, l'effet que ces quelques écrits avaient sur elle. Quand elle les lisait ou quand elle les entendait, elle s'imaginait être là, en plein milieu de l'action. C'est ainsi qu'elle se retrouva sur un champ de bataille, auprès d'un jeune homme d'une vingtaine d'années, qui se cachait, comme il le pouvait dans l'une des tranchées de l'armée française. Elle entendait le son des bombes, des coups de fusils. Il y avait l'odeur aussi.
« Chère Amandine,
Je sais que tu t'inquiètes pour moi, même si je n'ai reçu ta dernière lettre. Nous avons été au front, hier et nous sommes rentrés dans les tranchées en fin de soirée. Didier n'en est pas revenu. Ne sois pas étonnée si tu vois Françoise, sa maman, pleurer lorsque tu iras acheter ton lait. C'est qu'ils lui auront annoncé la nouvelle.
J'entends le bruit des canons qui tirent et je me demande ce que je fais là. A force de rester dans la boue, j'en viens à me questionner sur l'utilité de cette guerre. Je t'avoue, j'ai peur et je pense ne pas en revenir.
Il y a aussi l'odeur, cette odeur indescriptible de mort. Partout où l'on va, elle est là. Cette odeur ne nous quitte plus. On fait ce que l'on peut pour tenir mais je vois bien que l'on recule de jour en jour. La première bataille avait été dure mais celle-ci est pire encore. Penser à toi me donne un peu d'espoir. J'espère que notre fils va bien. Je tiens encore debout pour les empêcher de passer et de vous approcher, même si je ne sais pas combien de temps je tiendrais.
Ici, chacun s'occupe comme il peut. Hervé sculpte des obus vide, Marcel écrit sans cesse à sa femme, à ses parents. Je crois qu'il est comme moi. Il sait très bien que l'on en reviendra pas. Il veut leur dire tout ce qu'il a sur le cœur.
La nourriture, si l'on peut appeler ce qu'ils nous donnent de la nourriture, est en raccord avec ce que l'on vit ici. J'espère que vous avez pu avoir au moins un peu de pain et Pascal mange à sa faim.
Quoi qu'il en soit, si les dernières nouvelles ne sont pas optimistes, c'est que je ne veux pas te donner de faux espoirs. Penser à vous me donne du courage et je ferai tout pour tenir le plus longtemps possible afin de vous revoir, toi et ton sourire si lumineux et Pascal à qui je veux tellement apprendre à faire du vélo.
Ton tendre Henri qui t'aime. »
Il eut un moment de silence pendant lequel Jodie revint à la réalité. Le champ de bataille disparut pour laisser place à l'arbre et au petit chemin face elle.
– Amandine, c'était ta maman ? Demanda Édouard à son grand-père.
– Oui, lui répondit celui-ci, un léger sourire aux lèvres.
– L'enfant dont elle parle, c'est toi ?
– Oui, sûrement.
– Et Henri, c'est ton père ?
– Oui.
– Et il est revenu de la guerre ? Osa demander Jodie. Il vous a appris à faire du vélo ?
– Non, répondit-il simplement.
Il avait toujours un sourire aux lèvres, mais cette fois-ci, on aurait dit un de ces sourires figés, tristes. Elle remarqua que ses yeux brillaient, qu'ils étaient humides et elle eut la désagréable sensation que Pascal pleurait. Et, ce n'était pas ce qu'elle voulait. Elle fut rassurée quand elle l'entendit reprendre la parole.
– On n'en parlait pas beaucoup à la maison. Maman avait peut-être mis ça au grenier justement pour essayer d'oublier. Mais en tout cas, merci.
Pascal se tourna vers Jodie.
– Merci madame. Vraiment. C'est tellement loin mais ça fait tellement de bien de se souvenir.
C'est un peu comme un voyage dans le temps, qui va me permettre de tourner la page.