Salut à tous.
Je vous partage le premier jet d'un premier chapitre d'un premier roman.
Je n'ai pas encore corrigé les fautes.
Je vous sollicite dans le but d'avoir un avis général et surtout d'avoir votre ressenti sur la suite de l'histoire.
Qu'est-ce que cela vous évoque ?
Comment imaginez-vous la suite de l'histoire ?
Comment imaginez-vous le caractère du personnage et quelles pourraient être ses aventures ?
Merci beaucoup.
Déjà plusieurs heures que nous sommes en voiture. L’incroyable diversité des paysages autoroutiers me donne l’impression d’être dans un jour sans fin. Coincé, derrière, au milieu, entre deux imposantes carrures que sont ma grand-mère et mon grand-père. L’impossibilité de jouer des coudes m’obligent à me recroquevillé sur moi-même car, il faut bien le dire, les vieux : on leur permet tout et c’est seulement parce qu’ils sont dans le couloir de la mort. Quand je tourne la tête à droite, pour espérer capter le regard d’un conducteur inconnu qui pourrait me sauver la vie en percutant notre voiture, je ne vois que l’écrasant brushing de mamie déployant ses mèches dans tous les sens et venant jusqu’à me chatouiller le nez. À gauche, je pourrais passer le temps à compter les bornes d’appel d’urgence si papi ne tenait pas tant à garder son chapeau. Son chapeau ramené par son meilleur ami des États-Unis, que dis-je, du Texas. Des États-Unis ? Oui bien sur, d’ailleurs, j’ai toujours trouvé curieux que ce mythomane n’ai jamais eu de passeport. Pour me consoler, il ne me reste que la route me plongeant dans un éternel et sombre corridor où, à la fin, l’on jetterai ma dépouille aux rapaces que sont ma famille.
Un sale moment pour un sale week-end ; un week-end affligeant dans une famille affligeante ; un espoir tout de même : la musique. Bien confortablement cramponné à mes deux oreilles mon casque me tient en vie. L’exquise mélodie que me procure les génies méconnues du vingt-et-unième siècle me permet de m’évader artificiellement de ce carnage. Cet objet si simple de nos jours est une véritable révolution : il permet d’être seul parmi la foule. Il détient le pouvoir de faire taire les voix les plus insupportable pour nous guider vers une profonde douceur. Devant, sans bruit, j’entends les allusions sarcastiques, les critiques gratuites sur mon mode de vie, et sur mes absences de relations amoureuses. Je vois les regards moqueur se tournant vers moi, les appels à la conversation que j’ignore dans le plus grand calme. Malgré tout, les mouvements perpétuels de ses mains m’obligent à revenir dans leur monde :
« Lâche un peu ta musique ! dit Maman. Déjà que nous ne te voyons jamais, si en plus tu passes ton temps avec ton casque ça ne sert à rien d’être avec nous.
— Alors pourquoi suis-je là ?
— Fais pas ta mauvaise tête mon doudou, tu va voir tout tes cousins, t’es pas content de voir tes cousins ?
— Mamie, s’il te plaît, arrête de m’appeler “mon doudou”.
— Oui Maman, arrête de l’appeler comme cela. Il va encore se vexer et on ne va pas l’entendre du week-end.
— De toute façon il ne dit jamais un mot. Moi à ton âge, je parlais tout le temps. J’avais toujours quelque chose à dire et, tu sais, les filles, elles adorent qu’on leur parlent. Enfin, pas quand elle sont sur le dos.
— Papa ! Arrête tes bêtises ! dit Papa. Aller ! Raconte-nous un peu ta vie, ton boulot ça se passe bien ?
— Ça va …
— Et tes copains, ils vont bien ?
— Oui …
— Et ta copine, elle va bien ?
— J’ai pas de copines.
— La fille que l’on a vu l’autre jour c’était pas ta copine ?
— C’était une amie.
— Pourtant elle avait l’air de bien t’aimer.
— Oui, comme un ami.
— À mon avis, elle te voit pas comme un ami. Elle attend plus.
— Tu ne l’as connais même pas.
— Ça commence comme ça et puis un soir, tu bois un verre de trop et hop ! Tu la saute.
— Arrête grand-père ! criions-nous en choeur. »
Sept heures, nous allons faire sept heures ensemble.
La Cène est une peinture mondialement connue et même sans y placer les détails n’importe qui pourrait la dessiner. Ma Cène à moi c’est pareil, tout le monde peut la dessiner :
Papi est au bout de la table tel un chef de famille respecté et respectable. À ses côtés, nous avons ses fils. Cela ne tombe pas toujours juste, mais chez nous ils sont deux. Ensuite vient les petit-fils assez mûr pour participer aux conversations éclairées des mâles dominants. Ensuite les femmes, habilitées au déblaiement de la table et aux ragots du village. Puis les enfants, sous l’oeil attentif de leur mère. Enfin mamie à l’autre bout, tel une bonne maîtresse de maison.
Avant, j’étais vexé d’être relayé derrière les bonnes, puis j’ai découvert l’innocence des enfants qui me faisait tant rire. Aujourd’hui, leur innocence a laissé place à leur impolitesse. Alors j’apprends à déguster, je place lentement et délicatement la fourchette dans ma bouche et je me concentre, pendant de longues minutes, à mâcher et à déguster le moindre aliment que ma langue reconnaissait. Finalement, j’ai appris que c’était meilleur pour la santé alors j’ai arrêté. L’interminable suite de plats m’étonnera toujours. Comment peut-on manger aussi aisément une quantité invraisemblable de nourriture tout en sachant que dehors, à seulement quelques mètres, des enfants n’ont qu’un bout de pain pour la journée. Nous en venons même, parfois, à avoir mal aux ventres pendant des heures. Certains vont même jusqu’à recracher une heure plus tard ce que leur estomac n’a pas pu éliminer. Alors pour éviter ces désagréments, on concocte des techniques afin d’être sur que personne d’autre ne profitera de tous ces mets. Du thé, des cigares, de la glace, le trio : Cognac, Armagnac, Grappa ou encore une bonne promenade. On pourrait croire tout cela normal car la douleur est difficile à supporter, mais toutes ces techniques ne servent qu’à préparer le repas du soir identique à celui du midi, voire plus riche.
« Et bien, j’ai le ventre bien rempli, soupira Papa en me tapant sur l’épaule.
— On mange trop ! dit Tonton,
— Maman en fait toujours trop, et comme nous sommes gourmand, on finit tout, dit Papa
— Et quand l’on mange rien, elle nous fait un scandale, dit Tonton.
— On pourrait peut-être moins manger et faire profiter ceux qui sont dans le besoin, leur dis-je.
— T’as toujours le mot pour rire l’abbé Pierre, dit Tonton en rigolant. Heureusement ce petit cigare nous fera digérer. Tu ne fume pas toi ?
— Non, répondis-je.
— Tu n’as même pas envie d’essayer ?
— Si ! Je suis terrorisé par le dégoût que la fumé me provoque. J’ai entendu dire que fumer réduisait l’espérance de vie, alors j’essaie tant bien que mal de m’y mettre, mais cela me dégoute.
Sourire forcé, yeux baissés, jouant avec ses pieds : la gêne a pointé le bout de son nez chez Tonton.
— Où en est le projet avec ton ami … Benjamin, c’est ça ?
— Annulé.
— Oh quel dommage ! Pourquoi ?
— Je n’ai pas été inclus dans les décisions, mes idées étaient rejetées sans même y réfléchir. J’étais devenu celui qui fournissait le capital, alors j’ai abandonné.
— Faut pas se laisser abattre mon garçon ! Il faut s’imposer. Il faut que tu montre ta présence. Il faut travailler dur pour être son propre patron.
— Il n’a pas l’étoffe, dit Papa. Il est condamné à être salarié toute sa vie.
— Mais …
— Prends exemple sur ton père ! Il s’est battu pour en être arrivé là. Il ne se levait pas à dix heures du matin.
— Je suis du soir, moi. Pas du matin.
— Excuse de looser ! Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. »
Sept heures avant d’aller se coucher, sept heures.
L’avantage d’avoir une maison de campagne dans le sud, c’est qu’il fait beau, c’est qu’il fait chaud. Le désavantage c’est qu’une fois par an, il fait froid et il pleut : sale week-end.
Mamie et Papi sont restés dans la maison pour les vacances, je peux enfin profiter de la banquette arrière et m’étendre de tout mon long. Nous sommes encore sur la route et, même s’il fait gris, les paysages sont magnifiques. J’en profite pour enfiler mon casque et me laisser transporter par la magie.
Trop de bonheur pour un si petit être, évidemment que cela ne pouvait pas durer. Je sens son regard à travers le rétroviseur, je vois sa tête se relever et balancer de droite à gauche, j’esquive les retournements furtifs laissant la voiture vogué seule pendant quelques secondes. Mais ce n’est qu’en apercevant la mine déçue de ma mère que je daigne m’intéresser à eux.
« Tu as discuté un peu avec Anthony ? dit Maman.
— Non, pourquoi ?
— Il travaille dans le même domaine que toi et il a monté sa boite, tu devrais lui demander des conseils.
— Je ne suis pas encore prêt à monter ma boite.
— Oh ! Tu ne va pas te laisser abattre par un échec. Il faut se relever !
— Je n’ai pas envie.
— Mais bouge-toi le cul mon loulou !
— Mais je n’ai pas envie !
— Et bien, il va falloir la trouver l’envie. Moi je vais te la donner l’envie, tu vas voir !
— Laisse-le chéri, tu vois bien qu’il ne veut pas faire d’efforts.
— La réussite ne te tombe pas toute crue dans le bec. La chance, cela n’existe pas. Il n’y a que ceux qui la provoque qui peuvent la toucher.
— Est-ce qu’un jour vous allez décider de me laisser vivre ma vie ?
— Tu vois bien que tu es en train de foutre ta vie en l’air ? Tu vis les meilleurs moments de ta vie. Tu ne trouveras jamais de femmes si tu reste salarié. Comment comptes-tu entretenir ta famille ?
— On arrête s’il vous plaît.
— Aucune fille ne voudra de lui, il est trop timide, dit Papa.
— Ce n’est pas un problème de timidité, dit Maman. C’est juste qu’il ne gagne pas assez sa vie, comment veux-tu qu’il invite une femme au restaurant avec ce salaire ? Il n’a même pas les moyens d’acheter une voiture.
— Mais j’habite en ville.
— S’il n’a pas le cran d’aborder une fille, il restera seul toute sa vie, dit Papa
— Et on n’aura même pas de petits enfants.
— Faudrait déjà être sur qu’il sache comment faire.
— Oh s’il te plaît ! Il a vingt cinq ans tout de même. Il a surement déjà connu des femmes.
— Ah oui, il en a connu, à la télé ou sur leur Internet.
— Il y a bien la petite Julie, sa copine de primaire. Qu’est-ce qu’elle est belle cette fille, et ses parents ont une bonne situation.
— Oh non pas eux ! Son père est un bobo fonctionnaire de gauche qui n’a jamais travaillé de sa vie.
— Oui, il ne travaille pas beaucoup, mais instituteur c’est un métier important pour l’éducation.
— Oui enfin il pense sauver le monde en donnant deux euros aux clodos donc merci pour le “métier important”.
— Il n’est pas futé, mais sa femme est avocate.
— Eh bien ! Pour rester avec un mec comme ça elle ne doit pas être très maligne.
— Ne te moque pas d’elle, je l’aime bien moi.
— Tu l’aime bien parce que t’as besoin d’elle !
— Quoi ? C’est toujours utile d’avoir une amie avocate !
— Pour payer moins cher, radine va ! »
La chaleur commence à pointer le bout de son nez. Le ciel se dégage peu à peu, nous entrons dans une épaisse forêt qui cache les nuages et donc le soleil. J’ouvre ma fenêtre pour respirer ce bon air frais, mais je ne récolte que l’humidité de la pluie fraîchement tombée ce matin même. Cette forêt est interminable comme une longue chute où l’on voit sa vie passée devant ses yeux, où l’on a l’impression que ce moment dure une éternité alors qu’il ne dure que quelques secondes. Dans mon cas, il dure vraiment une éternité. Papa ne cesse de se retourner pour capter mon regard, les grands gestes de Maman m’évoque une dispute. Je reste las, sans rien dire, avec ma musique qui rythme mes pensés. Les gestes de ma mère s’anime de plus en plus vite, les mouvements de tête de mon père s’accentue, la lueur apparaît enfin : la fin de cette forêt, la campagne ensoleillée, les animaux se baladant heureux dans les prairies, la chaleur du Sud frappant de plein fouet la voiture.
Sept degrés, nous venons de prendre sept degrés.
J’ai un peu mal au crâne et je me sens assoupi, engourdi, ramolli. J’ai besoin de sommeil car je dors mal ces derniers jours. Mes yeux voient floues, je sens mes jambes marcher sans leur en avoir donner l’ordre. La prairie flotte dès que mes pas frôlent l’herbe sèche. J’ai l’impression d’avancer depuis des jours sans m’arrêter, mais soyons honnête : c’est impossible. Le soleil me tape sur la tête. On m’a souvent vanté qu’au sud il faisait chaud. J’ai toujours cru qu’ils en faisaient trop, jusqu’à maintenant. J’ai très envie d’une cigarette, je donnerai tout pour une cigarette. Je n’aime pas fumer, mais aujourd’hui, à cet instant, je veux fumer !
Je vais aller jusqu’au village voisin pour demander des cigarettes. Et pourquoi pas, trouver une place pour une nuit. Dormir chez l’habitant est une très bonne expérience sociale. On y rencontre des personnes fantastiques toujours accompagnés d’une bienveillance infinie. Mais ce n’est pas évident de frapper à la porte, de se présenter et ensuite de demander ce genre de service. Bien souvent nous n’avons rien à donner en échange et c’est ce qui nous pousse à dormir sous un pont plutôt que chez un futur ami. Nous avons peur également du refus ou de forcer les gens à nous accueillir. Cette peur il faut savoir l’oublier, il faut se forcer à l’écarter, car si l’on enlève les insignifiantes mauvaises expériences alors le reste n’est que bonheur perpétuel.
Je ne suis pas du genre à trembler devant les inconnus. Je pars du principe qu’il y a plus de gens bons que de gens mauvais sur cette planète et que peu importe sur qui je tombe, je peux avoir confiance. De plus, je suis un homme blanc, parlant français, d’une vingtaine d’année, assez grand pour faire douter, assez petit pour attendrir. Je suis l’archétype du gars sympathique avec qui l’on a envie de jouer aux dominos. Evidemment n’oublions pas les psychopathes, les bandits et les fascistes. Mais après tout, qu’est-ce que je risque ?
Je vous partage le premier jet d'un premier chapitre d'un premier roman.
Je n'ai pas encore corrigé les fautes.
Je vous sollicite dans le but d'avoir un avis général et surtout d'avoir votre ressenti sur la suite de l'histoire.
Qu'est-ce que cela vous évoque ?
Comment imaginez-vous la suite de l'histoire ?
Comment imaginez-vous le caractère du personnage et quelles pourraient être ses aventures ?
Merci beaucoup.
Déjà plusieurs heures que nous sommes en voiture. L’incroyable diversité des paysages autoroutiers me donne l’impression d’être dans un jour sans fin. Coincé, derrière, au milieu, entre deux imposantes carrures que sont ma grand-mère et mon grand-père. L’impossibilité de jouer des coudes m’obligent à me recroquevillé sur moi-même car, il faut bien le dire, les vieux : on leur permet tout et c’est seulement parce qu’ils sont dans le couloir de la mort. Quand je tourne la tête à droite, pour espérer capter le regard d’un conducteur inconnu qui pourrait me sauver la vie en percutant notre voiture, je ne vois que l’écrasant brushing de mamie déployant ses mèches dans tous les sens et venant jusqu’à me chatouiller le nez. À gauche, je pourrais passer le temps à compter les bornes d’appel d’urgence si papi ne tenait pas tant à garder son chapeau. Son chapeau ramené par son meilleur ami des États-Unis, que dis-je, du Texas. Des États-Unis ? Oui bien sur, d’ailleurs, j’ai toujours trouvé curieux que ce mythomane n’ai jamais eu de passeport. Pour me consoler, il ne me reste que la route me plongeant dans un éternel et sombre corridor où, à la fin, l’on jetterai ma dépouille aux rapaces que sont ma famille.
Un sale moment pour un sale week-end ; un week-end affligeant dans une famille affligeante ; un espoir tout de même : la musique. Bien confortablement cramponné à mes deux oreilles mon casque me tient en vie. L’exquise mélodie que me procure les génies méconnues du vingt-et-unième siècle me permet de m’évader artificiellement de ce carnage. Cet objet si simple de nos jours est une véritable révolution : il permet d’être seul parmi la foule. Il détient le pouvoir de faire taire les voix les plus insupportable pour nous guider vers une profonde douceur. Devant, sans bruit, j’entends les allusions sarcastiques, les critiques gratuites sur mon mode de vie, et sur mes absences de relations amoureuses. Je vois les regards moqueur se tournant vers moi, les appels à la conversation que j’ignore dans le plus grand calme. Malgré tout, les mouvements perpétuels de ses mains m’obligent à revenir dans leur monde :
« Lâche un peu ta musique ! dit Maman. Déjà que nous ne te voyons jamais, si en plus tu passes ton temps avec ton casque ça ne sert à rien d’être avec nous.
— Alors pourquoi suis-je là ?
— Fais pas ta mauvaise tête mon doudou, tu va voir tout tes cousins, t’es pas content de voir tes cousins ?
— Mamie, s’il te plaît, arrête de m’appeler “mon doudou”.
— Oui Maman, arrête de l’appeler comme cela. Il va encore se vexer et on ne va pas l’entendre du week-end.
— De toute façon il ne dit jamais un mot. Moi à ton âge, je parlais tout le temps. J’avais toujours quelque chose à dire et, tu sais, les filles, elles adorent qu’on leur parlent. Enfin, pas quand elle sont sur le dos.
— Papa ! Arrête tes bêtises ! dit Papa. Aller ! Raconte-nous un peu ta vie, ton boulot ça se passe bien ?
— Ça va …
— Et tes copains, ils vont bien ?
— Oui …
— Et ta copine, elle va bien ?
— J’ai pas de copines.
— La fille que l’on a vu l’autre jour c’était pas ta copine ?
— C’était une amie.
— Pourtant elle avait l’air de bien t’aimer.
— Oui, comme un ami.
— À mon avis, elle te voit pas comme un ami. Elle attend plus.
— Tu ne l’as connais même pas.
— Ça commence comme ça et puis un soir, tu bois un verre de trop et hop ! Tu la saute.
— Arrête grand-père ! criions-nous en choeur. »
Sept heures, nous allons faire sept heures ensemble.
* * *
La Cène est une peinture mondialement connue et même sans y placer les détails n’importe qui pourrait la dessiner. Ma Cène à moi c’est pareil, tout le monde peut la dessiner :
Papi est au bout de la table tel un chef de famille respecté et respectable. À ses côtés, nous avons ses fils. Cela ne tombe pas toujours juste, mais chez nous ils sont deux. Ensuite vient les petit-fils assez mûr pour participer aux conversations éclairées des mâles dominants. Ensuite les femmes, habilitées au déblaiement de la table et aux ragots du village. Puis les enfants, sous l’oeil attentif de leur mère. Enfin mamie à l’autre bout, tel une bonne maîtresse de maison.
Avant, j’étais vexé d’être relayé derrière les bonnes, puis j’ai découvert l’innocence des enfants qui me faisait tant rire. Aujourd’hui, leur innocence a laissé place à leur impolitesse. Alors j’apprends à déguster, je place lentement et délicatement la fourchette dans ma bouche et je me concentre, pendant de longues minutes, à mâcher et à déguster le moindre aliment que ma langue reconnaissait. Finalement, j’ai appris que c’était meilleur pour la santé alors j’ai arrêté. L’interminable suite de plats m’étonnera toujours. Comment peut-on manger aussi aisément une quantité invraisemblable de nourriture tout en sachant que dehors, à seulement quelques mètres, des enfants n’ont qu’un bout de pain pour la journée. Nous en venons même, parfois, à avoir mal aux ventres pendant des heures. Certains vont même jusqu’à recracher une heure plus tard ce que leur estomac n’a pas pu éliminer. Alors pour éviter ces désagréments, on concocte des techniques afin d’être sur que personne d’autre ne profitera de tous ces mets. Du thé, des cigares, de la glace, le trio : Cognac, Armagnac, Grappa ou encore une bonne promenade. On pourrait croire tout cela normal car la douleur est difficile à supporter, mais toutes ces techniques ne servent qu’à préparer le repas du soir identique à celui du midi, voire plus riche.
« Et bien, j’ai le ventre bien rempli, soupira Papa en me tapant sur l’épaule.
— On mange trop ! dit Tonton,
— Maman en fait toujours trop, et comme nous sommes gourmand, on finit tout, dit Papa
— Et quand l’on mange rien, elle nous fait un scandale, dit Tonton.
— On pourrait peut-être moins manger et faire profiter ceux qui sont dans le besoin, leur dis-je.
— T’as toujours le mot pour rire l’abbé Pierre, dit Tonton en rigolant. Heureusement ce petit cigare nous fera digérer. Tu ne fume pas toi ?
— Non, répondis-je.
— Tu n’as même pas envie d’essayer ?
— Si ! Je suis terrorisé par le dégoût que la fumé me provoque. J’ai entendu dire que fumer réduisait l’espérance de vie, alors j’essaie tant bien que mal de m’y mettre, mais cela me dégoute.
Sourire forcé, yeux baissés, jouant avec ses pieds : la gêne a pointé le bout de son nez chez Tonton.
— Où en est le projet avec ton ami … Benjamin, c’est ça ?
— Annulé.
— Oh quel dommage ! Pourquoi ?
— Je n’ai pas été inclus dans les décisions, mes idées étaient rejetées sans même y réfléchir. J’étais devenu celui qui fournissait le capital, alors j’ai abandonné.
— Faut pas se laisser abattre mon garçon ! Il faut s’imposer. Il faut que tu montre ta présence. Il faut travailler dur pour être son propre patron.
— Il n’a pas l’étoffe, dit Papa. Il est condamné à être salarié toute sa vie.
— Mais …
— Prends exemple sur ton père ! Il s’est battu pour en être arrivé là. Il ne se levait pas à dix heures du matin.
— Je suis du soir, moi. Pas du matin.
— Excuse de looser ! Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. »
Sept heures avant d’aller se coucher, sept heures.
* * *
L’avantage d’avoir une maison de campagne dans le sud, c’est qu’il fait beau, c’est qu’il fait chaud. Le désavantage c’est qu’une fois par an, il fait froid et il pleut : sale week-end.
Mamie et Papi sont restés dans la maison pour les vacances, je peux enfin profiter de la banquette arrière et m’étendre de tout mon long. Nous sommes encore sur la route et, même s’il fait gris, les paysages sont magnifiques. J’en profite pour enfiler mon casque et me laisser transporter par la magie.
La nuit se couche sur mon insomnie,
Je me promène à travers les rues démunies.
Rien ne m’attire, tout semble me détruire.
La corde glisse le long de mon cou,
Je descend peu à peu, tout doux.
Trop de bonheur pour un si petit être, évidemment que cela ne pouvait pas durer. Je sens son regard à travers le rétroviseur, je vois sa tête se relever et balancer de droite à gauche, j’esquive les retournements furtifs laissant la voiture vogué seule pendant quelques secondes. Mais ce n’est qu’en apercevant la mine déçue de ma mère que je daigne m’intéresser à eux.
« Tu as discuté un peu avec Anthony ? dit Maman.
— Non, pourquoi ?
— Il travaille dans le même domaine que toi et il a monté sa boite, tu devrais lui demander des conseils.
— Je ne suis pas encore prêt à monter ma boite.
— Oh ! Tu ne va pas te laisser abattre par un échec. Il faut se relever !
— Je n’ai pas envie.
— Mais bouge-toi le cul mon loulou !
— Mais je n’ai pas envie !
— Et bien, il va falloir la trouver l’envie. Moi je vais te la donner l’envie, tu vas voir !
— Laisse-le chéri, tu vois bien qu’il ne veut pas faire d’efforts.
— La réussite ne te tombe pas toute crue dans le bec. La chance, cela n’existe pas. Il n’y a que ceux qui la provoque qui peuvent la toucher.
— Est-ce qu’un jour vous allez décider de me laisser vivre ma vie ?
— Tu vois bien que tu es en train de foutre ta vie en l’air ? Tu vis les meilleurs moments de ta vie. Tu ne trouveras jamais de femmes si tu reste salarié. Comment comptes-tu entretenir ta famille ?
— On arrête s’il vous plaît.
— Aucune fille ne voudra de lui, il est trop timide, dit Papa.
— Ce n’est pas un problème de timidité, dit Maman. C’est juste qu’il ne gagne pas assez sa vie, comment veux-tu qu’il invite une femme au restaurant avec ce salaire ? Il n’a même pas les moyens d’acheter une voiture.
— Mais j’habite en ville.
— S’il n’a pas le cran d’aborder une fille, il restera seul toute sa vie, dit Papa
— Et on n’aura même pas de petits enfants.
— Faudrait déjà être sur qu’il sache comment faire.
— Oh s’il te plaît ! Il a vingt cinq ans tout de même. Il a surement déjà connu des femmes.
— Ah oui, il en a connu, à la télé ou sur leur Internet.
— Il y a bien la petite Julie, sa copine de primaire. Qu’est-ce qu’elle est belle cette fille, et ses parents ont une bonne situation.
— Oh non pas eux ! Son père est un bobo fonctionnaire de gauche qui n’a jamais travaillé de sa vie.
— Oui, il ne travaille pas beaucoup, mais instituteur c’est un métier important pour l’éducation.
— Oui enfin il pense sauver le monde en donnant deux euros aux clodos donc merci pour le “métier important”.
— Il n’est pas futé, mais sa femme est avocate.
— Eh bien ! Pour rester avec un mec comme ça elle ne doit pas être très maligne.
— Ne te moque pas d’elle, je l’aime bien moi.
— Tu l’aime bien parce que t’as besoin d’elle !
— Quoi ? C’est toujours utile d’avoir une amie avocate !
— Pour payer moins cher, radine va ! »
Mais je ne dois pas abandonner,
Un jour viendra, je me lèverai.
Tout raconter, tout déballer.
Un jour viendra, je montrerai,
Pourquoi ils auraient du m’écouter.
La chaleur commence à pointer le bout de son nez. Le ciel se dégage peu à peu, nous entrons dans une épaisse forêt qui cache les nuages et donc le soleil. J’ouvre ma fenêtre pour respirer ce bon air frais, mais je ne récolte que l’humidité de la pluie fraîchement tombée ce matin même. Cette forêt est interminable comme une longue chute où l’on voit sa vie passée devant ses yeux, où l’on a l’impression que ce moment dure une éternité alors qu’il ne dure que quelques secondes. Dans mon cas, il dure vraiment une éternité. Papa ne cesse de se retourner pour capter mon regard, les grands gestes de Maman m’évoque une dispute. Je reste las, sans rien dire, avec ma musique qui rythme mes pensés. Les gestes de ma mère s’anime de plus en plus vite, les mouvements de tête de mon père s’accentue, la lueur apparaît enfin : la fin de cette forêt, la campagne ensoleillée, les animaux se baladant heureux dans les prairies, la chaleur du Sud frappant de plein fouet la voiture.
Sept degrés, nous venons de prendre sept degrés.
* * *
J’ai un peu mal au crâne et je me sens assoupi, engourdi, ramolli. J’ai besoin de sommeil car je dors mal ces derniers jours. Mes yeux voient floues, je sens mes jambes marcher sans leur en avoir donner l’ordre. La prairie flotte dès que mes pas frôlent l’herbe sèche. J’ai l’impression d’avancer depuis des jours sans m’arrêter, mais soyons honnête : c’est impossible. Le soleil me tape sur la tête. On m’a souvent vanté qu’au sud il faisait chaud. J’ai toujours cru qu’ils en faisaient trop, jusqu’à maintenant. J’ai très envie d’une cigarette, je donnerai tout pour une cigarette. Je n’aime pas fumer, mais aujourd’hui, à cet instant, je veux fumer !
Je vais aller jusqu’au village voisin pour demander des cigarettes. Et pourquoi pas, trouver une place pour une nuit. Dormir chez l’habitant est une très bonne expérience sociale. On y rencontre des personnes fantastiques toujours accompagnés d’une bienveillance infinie. Mais ce n’est pas évident de frapper à la porte, de se présenter et ensuite de demander ce genre de service. Bien souvent nous n’avons rien à donner en échange et c’est ce qui nous pousse à dormir sous un pont plutôt que chez un futur ami. Nous avons peur également du refus ou de forcer les gens à nous accueillir. Cette peur il faut savoir l’oublier, il faut se forcer à l’écarter, car si l’on enlève les insignifiantes mauvaises expériences alors le reste n’est que bonheur perpétuel.
Je ne suis pas du genre à trembler devant les inconnus. Je pars du principe qu’il y a plus de gens bons que de gens mauvais sur cette planète et que peu importe sur qui je tombe, je peux avoir confiance. De plus, je suis un homme blanc, parlant français, d’une vingtaine d’année, assez grand pour faire douter, assez petit pour attendrir. Je suis l’archétype du gars sympathique avec qui l’on a envie de jouer aux dominos. Evidemment n’oublions pas les psychopathes, les bandits et les fascistes. Mais après tout, qu’est-ce que je risque ?