Il était vingt-trois heures, en cette soirée du dix-sept novembre, où la pluie tombait sans discontinuer accompagnée d'un vent violent. Les fenêtres de ma chambre étaient imprégnées d'eau et les éclairs éclairaient la pièce plongée dans l'obscurité. Le tonnerre grondait et résonnait dans ma tête, m'empêchant de me reposer malgré la fatigue qui m'accablait. Je me recroquevillais sur mon lit, fixant le plafond blanc, tandis qu'un vent glacial parcourait la pièce. J'ai placé mes pieds sous les draps pour me réchauffer, fermant les yeux en essayant de faire abstraction du vacarme externe. Mais en vain, la claque de l'eau et des branches d'arbres sur les vitres de la chambre ont perturbé ma concentration. Tout ce que je souhaitais, c'était pouvoir fermer les yeux et m'endormir. J'ai alors pris mon smartphone et mes écouteurs, lancé ma playlist de musique zen pour m'évader et oublier tous mes soucis. Au bout de quelques minutes, je me suis senti partir et mes paupières se sont fermées.
Je m'enfonçais dans le sommeil, dans l'apathie incandescente de cette nuit si particulière. J'ai fait un rêve qui m'a subjugué par sa beauté et sa ferveur. Elle était là devant moi, elle me souriait... Ma femme au visage rond, avec ces petites fossettes qui se dessinaient sur ses joues. Elle est venue vers moi et m'a tiré par la main. Nous étions installés sur la terrasse de notre maison, au bord de la mer. Le soleil illuminait le ciel et le bruit des vagues résonnait comme une partition de musique. Au loin, sur la plage, j'ai aperçu mes enfants qui se débattaient pour construire un château de sable. Leurs rires m'ont donné du baume au cœur et je me suis senti apaisé et heureux.
Pour quelle raison me trouvais-je là ? Pourquoi ce rêve avec ma femme et nos enfants se situait-il au bord de la mer, dans cet endroit paradisiaque ? Nous habitions dans l'Est de la France et ce cadre idyllique nous paraissait inaccessible. Nous souhaitions chaque année partir en vacances pour sortir du carcan de notre routine, mais les aléas du quotidien nous contraignaient à renoncer à cette évasion.
Peut-être que ce rêve me démontrait une vie aspirée, mais jamais concrétisée. Pourquoi d'ailleurs cette rêverie ne se serait-elle pas réalisée ? Je n'en connaissais pas la réponse. J'ai savouré l'instant présent et j'ai retrouvé mes enfants pour partager un moment heureux. Ma femme nous a pris en photo. Nous respirions le bonheur. Plus rien ne nous atteignait. Mais ce rêve était saccadé par de brusques arrêts comme si j'allais me réveiller. Je ne le souhaitais pas, je désirais encore profiter de l'instant. Je ne voulais pas me séparer de celle que j'aimais par-dessus tout et de nos petits.
Il m'a été imparti de m'éveiller dans cette chambre lugubre en solitaire. Je suis sorti inéluctablement de ma léthargie et ai ouvert les yeux. La pièce était obscure et déserte. À l'extérieur, le calme relatif était revenu, mais la présence de ce vent glacial m'a glacé le sang. Il s'enveloppait autour de moi comme des liens qui se resserraient de plus en plus. En clignant des yeux, j'ai vu le souvenir des visages de mes enfants arborant un large sourire et me faisant des signes de cœur avec leurs doigts. Ma femme était assise près de moi et me tenait les mains. Des larmes coulaient sur ses joues. J'ai perçu la détresse dans son regard et ai compté les « je t'aime » qui sortaient de sa bouche. Quelque chose se passait... Ce n'était plus un rêve, mais le début d'un cauchemar.
J'ai ouvert les yeux et j'ai aperçu des silhouettes dans la pièce. Je ne pouvais plus bouger. La musique provenant de mon téléphone s'est interrompue et des voix se sont succédé dans une cacophonie extrême. Un bruit strident a retenti dans la chambre et l'ombre d'une femme s'est approchée de moi. Elle m'a hurlé dessus sans comprendre le moindre mot. En tournant la tête sur ma gauche, j'ai entre-aperçu le moniteur cardiaque où les graphiques s'affolaient. J'étais dans un hôpital. Ce n'était plus un rêve. Les médecins se sont rués sur moi pour me garder en vie. Mon corps et mon esprit m'ont lâché. Je n'avais plus la force de maintenir mes yeux ouverts.
J'ai marché doucement sur ce rivage de sable fin où j'ai longé le bord de la grande bleue. Mes pieds nus ont laissé apparaître mes empreintes qui se sont effacées au retour de la mer sur la plage. Ma femme et mes enfants se trouvaient à quelques encablures. Nous étions tous habillés de blanc, la couleur de la pureté.
J'ai compris que mon dernier souffle était arrivé. Le cauchemar de l'hôpital, le rêve d'une existence meilleure et le clap de fin, une succession d'évènements qui allaient me conduire sur les chemins d'outre-tombe. Mourir sereinement, partir heureux malgré la peine des proches.
Le dix-huit novembre, à deux heures trente du matin, le rêve s'est arrêté en même temps que mon cœur. Le corps médical aura tout fait pour me retenir, pour me garder, mais le mal a été plus fort. Il a détruit ma vie, celle de mes proches, mais je sais que je suis décédé en rêvant des personnes que j'aime.
J'ai eu cette vision, ce désir de quitter ce monde avec grâce et dignité. Bien que le cauchemar ait été un obstacle difficile à surmonter, je suis parti sans douleur. Même au-delà de cette vie, je continuerai de rêver à toi, mon épouse, à vous, mes enfants.
FIN