L’espace n’était nullement l’espace. Cloué qu’il était en ce lieu d’étonnante sidération. Une intime et profonde réflexion m’invitait à me tenir sur mes gardes, à ne nullement franchir la limite de votre domaine comme si un invisible magnétisme m’eût soudain placé sous votre domination sans qu’il me fût possible de jamais m’en affranchir. Et, du reste, tous mes essais de rationalisation, de logique, échouaient au rivage du cercle dans lequel vous étiez confinée. Insecte pris dans son bloc de résine, vous n’offriez au monde que cette forme glacée, hors de toute vision ordinaire, pareille à ces origamis japonais, pliure d’une figure de soi sur soi jusqu’au terme d’une déconcertante incompréhension. C’était bien ceci, vous étiez un genre de barbacane à l’angle de quelque forteresse, une tour ronde dont on aurait occlus les fines meurtrières, il ne demeurait que cette sourde puissance, cette énergie interne dont, parfois, je devinais l’impatience, comme un murmure qui enflait et devait se presser tout au bord de votre peau sans pouvoir en franchir l’écran opaque, sans doute douloureux. Nul n’aurait pu demeurer en cet état d’affliction qu’au risque de sa propre perte. En raison de ceci, je vous croyais personnage de fiction, un de ceux qu’à longueur de journée distillait mon cerveau embrumé, ce réseau illisible, y compris pour ma propre pensée.
Mais n’étais-je en train de bâtir, de toutes pièces, une scène dont les tréteaux de fragile constitution ne pourraient longtemps soutenir l’épreuve à laquelle ils étaient soumis ? Il faut dire, mon champ de vision était si étréci et quoique m’étant hissé sur une chaise, la perspective que m’offrait la tabatière débordant à peine du toit, infligeait à mes yeux l’image d’un paysage tronqué, pareil à ces décors en trompe-l’œil d’un théâtre de chambre. Tout au plus s’agissait-il d’une réalité fragmentée, laquelle, chacun le sait, ouvre tout grand les portes de l’imaginaire et des fantasmes qui en sont les habituelles fascinations. Cependant, afin de rétablir en moi quelque sérénité et créer les conditions d’une vision plus apaisée, sinon exacte des choses, j’avais regagné ma table de travail dans ce galetas éclairé d’un jour sévère. Pour mon séjour à C., je n’avais guère trouvé à me loger que dans cette sorte de mansarde, certes poétique et rêveuse, mais refermée sur l’habituel spectacle du monde.