Tableau : la colonne brisée de Kahlo
Il y a certaines blessures dont on se remet, d’autres jamais. Assise dans mon lit d’hôpital avec comme seul habit un drap je comprenais le sens de cette phrase. Je ne pouvais bouger ni à droite, ni à gauche et mon poumon me faisait mal quand je respirais. Les infirmières venaient souvent me voir, ce qui prouvait à quel point mon état était critique. Elles me regardaient comme si je n’avais plus qu’une journée à vivre. Je me sentais en miettes. Elles me demandaient comment j’allais et je répondais toujours la même chose :
« J’ai l’impression d’être rentré dans un train ».
Elles ne savaient pas comment réagir à cette blague. Souvent elles faisaient un petit sourire et s’en allaient. Je venais tellement souvent dans cet hôpital que j’en connaissais chaque couloir et chaque mur. Le personnel connaissait mon prénom et tout le monde m’appelait Frida. Le médecin vint dans l’après-midi pour vérifier mon état.
« Comment vous sentez vous ?
- J’ai une poliomyélite depuis l’âge de 6 ans, je me suis fait renverser par un train et aujourd’hui on m’opère pour la douzième fois donc plutôt bien.
- Vous savez que vous dites toujours la même chose, me répondit-il avec un sourire.
- C’est faux, la dernière fois que je suis venue j’ai dit onzième fois et non douzième. »
Il m’expliqua l’opération même si je la connaissais par cœur. On m’amena au bloc le C, c’était celui où j’étais allée pour ma première opération. On me changea mon corset pour m’en mettre un plus résistant. Une énorme armature en fer qui me donnait encore moins de liberté de mouvements. J’espérais que tout cela me soulage un peu, mais ce ne fut pas le cas.
Dans mon lit d’hôpital je me mis à pleurer. Le médecin vint et me demanda où j’avais le plus mal.
« Je ne peux plus bouger, j’ai dû mal à respirer, je ne sens plus mes jambes, quand je parle je m’étouffe, mes mains tremblent, mes jambes sont des reliques inutilisables mais je pense m’en remettre. Par contre mon cœur s’est brisé le jour où Diego est parti, et ça je ne m’en remettrai jamais. »
Il y a certaines blessures dont on se remet, d’autres jamais.